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de Mina regrettait encore, elle voyait que tous les soirs on peut trouver à Paris un bal ou un spectacle amusant. Elle chercha la maison que son père avait habitée en 1814, et dont si souvent il l’avait entretenue. Une fois établie dans cette maison, dont il lui fallut à grand’peine renvoyer le locataire, Paris ne fut plus pour elle une ville étrangère. Mlle de Wangel reconnaissait les plus petites pièces de cette habitation.

Quoique sa poitrine fut couverte de croix et de plaques, le comte de Wangel n’avait été au fond qu’un philosophe, rêvant comme Descartes ou Spinoza. Mina aimait les recherches obscures de la philosophie allemande et le noble stoïcisme de Fichte, comme un coeur tendre aime le souvenir d’un beau paysage. Les mots les plus inintelligibles de Kant ne rappelaient à Mina que le son de voix avec lequel son père les prononçait. Quelle philosophie ne serait pas touchante et même intelligible avec cette recommandation ! Elle obtint de quelques savans distingués qu’ils vinssent chez elle faire des cours, où n’assistaient qu’elle et sa mère.

Au milieu de cette vie qui s’écoulait le matin avec des savans et le soir dans des bals d’ambassadeurs, l’amour n’effleura jamais le cœur de la riche héritière. Les Français l’amusaient, mais ils ne la touchaient pas. – Sans doute, disait-elle à sa mère, qui les lui vantait souvent, ce sont les hommes les plus aimables que l’on puisse rencontrer. J’admire leur esprit brillant, chaque jour leur ironie si fine me surprend et m’amuse ; mais ne les trouvez-vous pas empruntés et ridicules dès qu’ils essaient de paraître émus ? Est-ce que jamais leur émotion s’ignore elle-même ? — A quoi bon ces critiques ? répondait la sage Mme de Wangel. Si la France te déplaît, retournons à Kœnigsberg ; mais n’oublie pas que tu as dix-neuf ans et que je puis te manquer ; songe à choisir un protecteur. Si je venais à mourir, ajoutait-elle en souriant et d’un