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Une année se passa : son deuil finit, mais la douleur où l’avait jetée la mort de son père ne diminuait point. Les amis de Mme de Wangel commençaient à prononcer le terrible mot de maladie de poitrine. Il fallut cependant, à peine le deuil fini, que Mina parût à la cour d’un prince souverain dont elle avait l’honneur d’être un peu parente. En partant pour C..., capitale des états du grand-duc, Mme de Wangel, effrayée des idées romanesques de sa fille et de sa profonde douleur, espérait qu’un mariage convenable et peut-être un peu d’amour la rendraient aux idées de son âge. — Que je voudrais, lui disait-elle, vous voir mariée dans ce pays ! — Dans cet ingrat pays ! dans un pays, lui répondait sa fille d’un air pensif, où mon père, pour prix de ses blessures et de vingt années de dévouement, n’a trouvé que la surveillance de la police la plus vile qui fut jamais ! Non, plutôt changer de religion et aller mourir dans le fond de quelque couvent catholique !

Mina ne connaissait les cours que par les romans de son compatriote Auguste Lafontaine. Ces tableaux de l’Albane présentent souvent les amours d’une riche héritière que le hasard expose aux séductions d’un jeune colonel aide de camp du roi, mauvaise tête et bon cœur. Cet amour, né de l’argent, faisait horreur à Mina. — Quoi de plus vulgaire et de plus plat, disait-elle à sa mère, que la vie d’un tel couple un an après le mariage, lorsque le mari, grâce à son mariage, est devenu général-major, et la femme dame d’honneur de la princesse héréditaire ! que devient leur bonheur, s’ils éprouvent une banqueroute ?

Le grand-duc de C..., qui ne songeait pas aux obstacles que lui préparaient les romans d’Auguste Lafontaine, voulut fixer à sa cour l’immense fortune de Mlle de Wangel. Plus malheureusement encore, un de ses aides de camp se mit à faire la cour à Mina, peut-être avec autorisation supérieure. Il