Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, II, 1928, éd. Martineau.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.
85
LE CHEVALIER DE SAINT-ISMIER

troubles. Le président Lepoitevin est le principal instrument qui favorise toutes ses levées de deniers ; il se moquera bien de la vie d’un pauvre gentilhomme tel que moi, au prix de la raison d’État qui lui crie : « De l’argent avant tout ! » C’est précisément parce que le Cardinal me connaît que je suis plus malheureux : je n’ai pas de chance d’être oublié. »

Cependant, les raisons qui faisaient désirer à Saint-Ismier d’entrer à Bordeaux, étaient tellement puissantes qu’ayant continué à suivre la rive droite de la Dordogne après sa réunion avec la Garonne, il arriva à la nuit noire à ***. Un batelier le transporta, lui, ses chevaux et son domestique sur la rive gauche. Là, il eut le bonheur de rencontrer des marchands de vins qui avaient acheté précisément du capitaine Rochegude un permis d’entrer à Bordeaux de nuit avec leurs vins que la grande chaleur du soleil, pendant la journée, pouvait gâter. Le chevalier mit son épée sur l’une de leurs charrettes et entra dans Bordeaux, comme minuit sonnait, un fouet à la main, et s’entretenant avec un des marchands. Un instant après, ayant glissé un écu dans la poche de cet homme et repris lestement son épée, il disparut, sans dire mot, à un tournant de la rue.