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FÉDER


Par état, il ne parlait jamais de politique ; mais l’on savait, à n’en pas douter, qu’il ne lisait jamais d’autre journal que la Gazette de France, et ce jeune peintre en miniature avait dans son cabinet tous les saints Pères, dont un zèle pieux vient de publier de nouvelles éditions.

Escorté d’une si belle réputation, Féder pouvait prétendre à l’une des premières places qui deviendraient vacantes à l’Institut ; il ne dépendait que de lui d’épouser une femme, encore fort bien, qui lui apporterait une fortune de plus de quatre-vingt mille livres de rente, et à laquelle il ne pouvait reprocher d’autre défaut que de se montrer tous les jours plus passionnée. Par le plus grand hasard du monde, Féder venait de découvrir une chose qui lui avait beaucoup déplu : à l’époque de la dernière exposition, Rosalinde avait dépensé près de quatre mille francs en articles de journaux pour assurer le succès de son cadre de miniatures. Enfin, depuis que Féder était convenu avec lui-même qu’il n’avait aucun talent, ses succès augmentaient : rien de plus facile à expliquer. Il était surtout recherché pour des portraits de femmes, et, depuis qu’il avait renoncé à se tuer de peine pour saisir les couleurs de la nature, il flattait ses modèles avec une impudence qu’il n’avait