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ROMANS ET NOUVELLES


passion. J’aurai une peine extrême à vaincre cette prudence ; au lieu de jouir du bonheur divin que me font espérer ses aveux si passionnés d’il n’y a qu’un instant, je serai obligé de manœuvrer. » Ces réflexions se succédèrent rapidement. « Il faut que je l’inquiète, se dit Féder ; on ne voit les inconvénients d’un bonheur qu’autant qu’on en est sûr. »

Féder se rapprocha de Valentine d’un air assuré et assez froid, en apparence, surtout si on le comparait aux transports si abandonnés qui venaient d’avoir lieu. Féder prit sa main, tandis qu’elle le regardait d’un air indécis et surpris, et il lui dit d’un ton philosophique et froid :

— Je suis plus honnête homme qu’amant ; je n’ose vous dire que je vous aime avec passion, de peur que cela ne cesse d’être vrai un jour ; et, sur toutes choses, je ne voudrais pas tromper une amie qui a pour moi des sentiments si sincères. J’ai peut-être tort ; probablement jusqu’ici le hasard n’a pas voulu me faire rencontrer des âmes comme celle de Valentine ; mais enfin, à mes yeux, jusqu’à cette heure, j’ai regardé le caractère des femmes comme offrant tant d’inconstance et de légèreté, que je ne me laisse aller à aimer passionnément une femme que lorsqu’elle est toute à moi.