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ROMANS ET NOUVELLES


gloire ne marchait qu’à pas de tortue. Il était rouge comme un coq quand il faisait les honneurs d’un plat cher ; sa vanité était tellement folle de joie, et cette joie était tellement repoussante, que tout le monde semblait se donner le mot pour ne pas parler du plat admirable, qui eût illustré tout autre dîner.

À toutes les grâces de l’esprit que vous lui connaissez, le Boissaux joignait ces désagréments physiques qui dénoncent le manque d’une première éducation : il faisait des scènes à ses domestiques au milieu du dîner : il rappelait, en les grondant, le prix d’achat des plats rares qu’il offrait à ses hôtes ; il avait soin de se servir toujours à deux reprises. Enfin, ce que je ne sais comment exprimer, il mâchait pesamment et en faisant avec la bouche un bruit tel qu’on l’entendait de l’autre bout de la table. Ces petits inconvénients d’une opulence encore trop récente étaient de véritables bonnes fortunes pour la grosse vanité des financiers, qui dévoraient, sans les admirer, ces dîners dont le menu pouvait passer souvent pour le chef-d’œuvre d’un grand artiste.

Au lieu de parler des mets admirables qui leur avaient été servis et de l’ordre ingénieux et fait pour animer l’appétit dans lequel ils étaient présentés, les hôtes