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FÉDER


de qui avez-vous besoin ? De la bienveillance des gens à argent, des gros capitalistes, des receveurs généraux. Si vous voulez aller plus loin et vous lancer dans la Chambre des pairs, il vous faut la bienveillance du gouvernement.

Ici l’attention de Boissaux redoubla ; il prit l’air morne et la bouche de brochet, c’est-à-dire, à coins rabaissés, du marchand qui perd. Au mot de gouvernement, il craignit que Féder n’eût deviné sa jeune ambition.

— Eh bien, l’homme à argent que vos magnifiques dîners attirent à Viroflay, et qui voit ces damnés livres dont vous faites parade, a peur que vous ne les connaissiez mieux que lui, et se met en défiance. Quant au gouvernement, n’est-il pas évident que tout homme qui a des idées ou qui y prétend peut être tourné à l’opposition par le premier bavard effronté qui l’empoignera ? Donc l’homme à idées ne va pas au gouvernement. Votre propre dignité seule devrait vous engager à renvoyer ces livres au libraire ; il faut que chez vous il n’y ait pas un volume ; autrement vous vous exposez au ridicule. Si vous étalez des livres, vous estimez le genre d’esprit des gens qui lisent, et vous êtes obligé de faire semblant d’avoir lu ; on fera de certaines allusions, et vous serez obligé de