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FÉDER

— Que voulez-vous dire ? interrompit Boissaux avec humeur.

— Je veux dire que vous détruisez le caractère que je voulais vous donner ! Un homme tel que vous, possesseur de votre fortune, eût pu être cité dans le monde, vous ne le voulez pas. Vous jetez par terre l’échelle qui pouvait vous faire arriver au sommet de l’édifice social. Dieu ! que vous ignorez de choses !

— Je ne me croyais pas pourtant si ignorant, reprit Boissaux avec une colère contenue.

Et, revenant à son geste habituel quand il voulait se rassurer contre quelque inconvénient, il plongea sa main droite dans la poche de son gilet, remplie de napoléons ; il en prit une poignée, l’agita avec force dans sa main, puis les laissa retomber dans la poche ; puis de nouveau les saisit violemment : c’était à la lettre manier de l’or.

— D’abord, vous achetez des livres ! Mais savez-vous qu’un livre est un instrument fatal, une épée à deux tranchants, dont il faut se méfier ?

— Qui ignore qu’il y a de mauvais livres ? s’écria Boissaux avec le ton du dédain le plus amer.

C’était sa façon d’exprimer les angoisses que donnait à sa vanité un conseil aussi direct.