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même. « Certainement, se disait-il, je ne m’attacherai pas à cette petite pensionnaire, à peine échappée du couvent, et qui, dès que nous aurons échangé les premières politesses, va m’accabler de toutes les niaiseries, souvent méchantes au fond, dont les religieuses farcissent la tête de leurs élèves. Certes, je ne m’amuserai pas à défricher le terrain et à déraciner toutes ses sottises ; ce serait là travailler pour mon successeur, quelque brillant courtier de vins à Bordeaux. D’ailleurs, il y a ce mari, avec son effroyable voix de basse, qui me brise le tympan et agit sur mes nerfs. Malgré moi, dans la conversation, j’attends le retour de cette détestable voix. Avec mes petites filles du dimanche, je n’ai point à subir la voix de maris ; leurs sentiments sont vulgaires, il est vrai ; ces pauvres petites réfléchissent beaucoup sur le prix du chapeau, ou la composition du déjeuner ; cela m’ennuie, mais ne me révolte pas, tandis que j’ai envie de me fâcher quand je vois paraître la fierté grossière et l’orgueil impérieux de ces deux provinciaux enrichis. Il faut que je compte, à la première entrevue, combien de fois le mari répétera avec emphase : « Moi, Jean-Thomas Boissaux, vice-président du tribunal de commerce. » Ce serait une chose curieuse que de surprendre cet être-