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FÉDER

dévote, que suis-je donc moi ? » Féder ne trouva plus d’esprit pour se moquer de lui et jouir de son ridicule ; il répondit tout simplement :

— Un négociant fort riche, connu par ses heureuses spéculations.

— Eh bien, monsieur Féder, voilà ce qui vous trompe ; je suis propriétaire de magnifiques vignobles, fils de riche propriétaire, et vous tâterez de mon vin, fait par mon père. Et ce n’est pas tout, je me tiens au courant de la littérature, et j’ai dans ma bibliothèque Victor Hugo magnifiquement relié.

Un tel propos ne fût pas resté sans réponse de la part de Féder en toute autre circonstance ; mais il était occupé à regarder madame Boissaux d’un air timide. Elle, de son côté, le regardait aussi avec une timidité qui n’était pas sans grâces, et en rougissant. Le fait est que cette charmante femme portait la timidité à un excès peu croyable ; son frère et son mari avaient été obligés de lui faire une scène pour la déterminer à venir voir quelques tableaux en compagnie d’un peintre qu’elle ne connaissait pas. S’il est permis de parler ainsi, elle se faisait un monstre de ce peintre, homme du premier mérite et chevalier de la Légion d’honneur. Son imagination s’était figurée une sorte de