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ROMANS ET NOUVELLES

trouvait détestables certaines croûtes modernes, que le gouvernement expédie aux musées de province, il alla se figurer qu’il était artiste[1]. Du véritable artiste, il n’avait que le mépris pour l’argent ; et encore ce mépris tenait-il surtout à son horreur pour le travail de bureau et pour les occupations de son père : il n’en voyait que la gêne extérieure. Michel Féder, déclamant sans cesse contre la vanité et la légèreté des Français, se gardait bien d’avouer devant son fils les divins plaisirs de vanité que lui donnaient les louanges de ses associés, lorsqu’ils venaient partager avec lui les bénéfices de quelque bonne spéculation, sortie de la tête du vieux Allemand. Ce qui indignait celui-ci, c’est que, malgré ses sermons de morale, ses associés transformaient promptement leurs bénéfices en parties de campagne, en chasse à l’arbre et autres bonnes jouissances physiques. Pour lui, enfermé dans son arrière-comptoir, un volume de Steding et une grosse pipe formaient tous ses plaisirs, et il amassa des millions.

Lorsque Féder devint amoureux d’Amélie, jeune actrice de dix-sept ans, sortant du conservatoire et fort applaudie

  1. Les nouvelles inédites,1855, impriment : « que son fils était artiste ». Ce qui est évidemment un lapsus. N. D. L. E.