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devenu aveugle : il avait besoin d’un domestique pour le conduire ; mais son malheur le rendait si méchant, qu’il en changeait chaque mois. « Et je parie, me dis-je en moi-même, que moi il ne me chassera pas. » J’entrai à son service, et, dès le lendemain, comme il s’ennuyait, personne n’étant venu le voir, je lui racontai toute mon histoire. « Si vous ne me sauvez pas, lui dis-je, je serai arrêté un de ces jours. — Arrêter un domestique à moi ! dit-il : c’est ce que je saurai bien empêcher.»

Enfin, monsieur, je gagnai sa faveur. Il se couchait de bonne heure ; j’obtins, avec le temps, la permission d’aller faire un peu de commerce dans les cafés de Padoue, depuis huit heures qu’il se couchait jusqu’à deux heures du matin, que les gens riches quittent le café.

Je ramassai deux cents francs en dix-huit mois. Je demandai mon congé : il me répondit que dans son testament il me laisserait un capital considérable, mais que jamais je ne sortirais de chez lui. « En ce cas, pensai-je, pourquoi m’as-tu laissé faire le commerce ? » Je décampai ; je payai mes créanciers à Venise, ce qui me fit beaucoup d’honneur ; j’épousai Stella ; je lui appris à faire le commerce : maintenant, elle sait mieux vendre que moi.

— Comme c’est votre femme, c’est