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chez lui par un rhumatisme, et son travail se bornait à signer quelques expéditions que deux vieillards écrivaient pour lui. Lorsque je commençai à prendre ses leçons, il vivait seul avec un domestique. Ma tante, femme âgée, venait souvent lui tenir compagnie, et le soir, quand j’avais terminé ma tâche, nous nous retirions ensemble. Le malheureux avocat, condamné par ses douleurs à ne jamais sortir du lit, blasphémait Dieu et les saints, disant que la Providence, pour être juste, aurait dû répartir également les biens et les maux. La dévotion de ma tante s’alarmait de ces blasphèmes, et un jour elle les reprocha au patient qui reçut fort mal ses charitables avis. À notre retour, cette bonne femme m’engagea à ne plus revoir notre goutteux : « Ma conscience, disait-elle, ne me permet plus d’entendre ses blasphèmes ; si je renonce à le voir, vous devez suivre mon exemple, car vous n’avez rien à gagner aux leçons d’un impie. — Je n’en crains pas l’effet, lui répondis-je. » Si mon oncle, instruit de cet incident, m’eût interdit les leçons de Burner, j’en aurais été fort affligé, parce que dans nos tête-à-tête le mécréant m’éclairait sur certains sujets auxquels je ne comprenais rien grâce aux précautions de mes maîtres ;