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malheur[1] : n’a-t-elle pas le droit d’avoir quelqu’un qui la désennuie ? Et c’est vous qui me dites que vous m’aimez, vous, plus criminel qu’elle, car avant elle vous avez outragé votre lien commun, et vous êtes fou ; c’est vous qui voulez la condamner à un éternel ennui !

Cette façon de penser était trop haute pour Alfred ; mais le ton de la voix de Mina lui donnait de la force. Il admirait le pouvoir qu’elle avait sur lui, il en était charmé.

— Tant que vous daignerez m’admettre auprès de vous, lui dit-il enfin, je ne connaîtrai pas cet ennui dont vous parlez.

À minuit, tout était tranquille depuis longtemps sur les bords du lac ; on eût distingué le pas d’un chat. Mina avait suivi Alfred derrière une de ces murailles de charmille encore en usage dans les jardins de Savoie. Tout à coup un homme sauta d’un mur dans le jardin. Alfred voulut courir à lui ; Mina le retint fortement.

— Qu’apprendrez-vous si vous le tuez ? lui dit-elle fort bas. Et si ce n’était qu’un voleur ou l’amant d’une autre femme que la vôtre, quel regret de l’avoir tué !

Alfred avait reconnu le comte ; il était

  1. Immoral aux yeux de 1830.