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sait-elle, quittaient leur magnifique château de Kœnigsberg pour aller à la Terre sainte ; peu d’années après, ils en revenaient seuls, au travers de mille périls, déguisés comme moi. Le courage qui les animait me jette, moi, au milieu des seuls dangers qui restent, en ce siècle puéril, plat et vulgaire, à la portée de mon sexe. Que je m’en tire avec honneur, et les âmes généreuses pourront s’étonner de ma folie, mais en secret elles me la pardonneront. »

Les jours passèrent rapidement et bientôt trouvèrent Mina réconciliée avec son sort. Elle était obligée de coudre beaucoup ; elle prenait gaiement les devoirs de ce nouvel état. Souvent il lui semblait jouer la comédie : elle se plaisantait elle-même quand il lui échappait un mouvement étranger à son rôle. Un jour, à l’heure de la promenade, après dîner, quand le laquais ouvrit la calèche et déploya le marchepied, elle s’avança lestement pour monter. — Cette fille est folle, dit madame de Larçay. Alfred la regarda beaucoup ; il lui trouvait une grâce parfaite. Mina n’était nullement agitée par les idées de devoir ou par la crainte du ridicule[1]. Ces idées de prudence humaine étaient

  1. For me : Pilotis : c’est la contrepartie de la folie allemande. Un Français, à ce point-ci, manquerait de courage ou de constance.