Je suis comme ce soldat de Mayence, en 1814, qui s’intitula le général Garnison et commanda pendant trois jours. Je n’ai pas de nom. Je ne suis rien, si je suis seul ; je ne suis rien, si personne ne me suit. Je suis tout, si le public se dit : « Cet homme a émis une pensée. » — Je ne suis rien, ou je suis la voix d’un public à qui la terreur de la grande ombre de Racine tenait la bouche fermée. Croit-on que je ne sente pas le ridicule d’une horloge qui, à midi, marquerait quatre heures ? — J’élève la voix, parce que je vois clairement que l’heure du classicisme est sonnée. Les courtisans ont disparu, les pédants tombent ou se font censeurs de la police, le classicisme s’évanouit.
Je me souviens que je trouvai un jour à Kœnigsberg un auteur français de mes amis, homme d’esprit, plein de vanité, auteur s’il en fut, mais assez bon écrivain, à cela près qu’il ne sait pas un mot de français. Il me lut un pamphlet de sa façon fort plaisant, comme je l’exhortais à se servir des mots et des tours de phrases que l’on trouve dans Rousseau, la Bruyère, etc. : « Je vois bien que vous êtes un aristocrate, me dit-il rouge de colère ; vous n’êtes libéral que de nom. Quoi ! vous admettez l’autorité de quarante pédants serviles