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RACINE ET SHAKSPEARE

Pour le plaisir dramatique, ayant à choisir entre deux excès, j’aimerai toujours mieux une prose trop simple, comme celle de Sedaine ou de Goldoni, que des vers trop beaux.

Rappelons-nous sans cesse que l’action dramatique se passe dans une salle dont un des murs a été enlevé par la baguette magique de Melpomène, et remplacé par le parterre et les loges au moyen de la baguette magique d’une fée. Les personnages ne savent pas qu’il y a un public. Dès qu’ils font des concessions apparentes à ce public, à l’instant ce ne sont plus des personnages, ce sont des rapsodes récitant un poëme épique plus ou moins beau.

L’inversion est une grande concession en français, un immense privilège de la poésie, dans cette langue amie de la vérité et claire avant tout.

L’empire du rhythme ou du vers ne commence que là où l’inversion est permise.

Le vers convient admirablement au poëme épique, à la satire, à la comédie satirique, à une certaine sorte de tragédie faite pour des courtisans.

Jamais un homme de cour ne cessera de s’extasier devant la noblesse de cette communication, faite par Agamemnon à son gentilhomme de la chambre, Arcas :

… Tu vois mon trouble, apprends ce qui le cause,
Et juge s’il est temps, ami, que je repose.
Tu te souviens du jour qu’en Aulide assemblés, etc.


(Iphigénie, acte Ier, scène 1re.)