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RACINE ET SHAKSPEARE

cieux dans le paysage. On se sent tout à coup plongé dans une rêverie profonde, comme à la vue des bois et de leur vaste silence. On songe avec profondeur à ses plus chères illusions ; on les trouve moins improbables ; bientôt on en jouit comme de réalités. On parle à ce qu’on aime, on ose l’interroger, on écoute ses réponses. Voilà les sentiments que me donne une promenade solitaire dans une véritable forêt.

Ces peintres-miroirs, dans tous les genres, sont infiniment préférables aux gens communs qui veulent suivre Raphaël. Si ces gens étaient capables de produire un effet, ce serait de dégoûter de Raphaël. Ainsi, Dorat, Destouches… ont voulu faire des comédies à l’instar de Molière. J’aime bien mieux le simple Carmontelle ou Goldoni, qui ont été les miroirs de la nature. La nature a des aspects singuliers, des contrastes sublimes ; ils peuvent rester inconnus au miroir qui les reproduit, sans en avoir la conscience. Qu’importe ! si j’en ai la touchante volupté.

C’est ainsi que je m’explique le charme des plus anciens peintres des écoles italiennes : Bonifazio, Ghirlandajo, Le Mantègne, Masaccio, etc.

J’aime mieux une vieille pièce de Massinger que le Caton d’Addisson. Je préfère la Mandragore de Machiavel aux comédie« de M. l’avocat Nota, de Turin.

L’homme qui raconte ses émotions est le plus souvent ridicule ; car si cette émotion lui