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DE QUELQUES OBJECTIONS

ne réussit pas à cacher entièrement, il s’interrompt tout à coup. Luther craint, d’être entraîné par le démon de l’orgueil. Luther n’est point las de sa mission ; il doute, voilà le trait de génie, dont la lumière illumine toute la tragédie de Werner. Ce doute nous montre sur-le-champ Luther de bonne foi. Et quel homme fut plus en état de peindre en Luther toutes les nuances du doute que Werner, qui, après avoir été fougueux protestant, injuste envers les catholiques, vient de mourir à Vienne (en 1823), prêtre romain, prédicateur sublime dans sa nouvelle religion, et enfin, pour tout dire, jésuite ? Il a cessé de vivre dans le cloître des jésuites, toujours intolérant, passionné, injuste envers ses adversaires, et par là également bon jésuite et grand poëte, non pas uniquement grand poëte par de beaux vers, mais grand poëte parce que sa conduite folle l’a montré tel à tous les hommes, et, à mon avis, poëte supérieur à Schiller. Schiller, faisant supérieurement les vers, a hérité du théâtre de Racine de la manière de faire que ses personnages s’interrogent et se répondent par des tirades de quatre-vingts vers. Jamais un tel ennui dans le chef-d’œuvre de Werner. Et cependant quel sujet admettait plus la tirade que celui d’un fanatique emporté, convertissant ses compatriotes par la prédication ? Mais Werner était un homme d’esprit.

Je reviens à cette qualité de la tragédie de Luther : on ne peut plus l’oublier. Si nous eussions vu de même les grands événe-