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RACINE ET SHAKSPEARE

cœur digne de l’entendre, eût pu devenir un héros citoyen, un Hampden. Voyez le danger, et souvenez-vous qu’un despote a toujours peur.

Mais, me dit-on, Molière n’a pas songé à toutes ces profondeurs machiavéliques, il n’a voulu que faire rire. En ce cas, pourquoi dire que Regnard est immoral et que Molière ne l’est pas ?

La comédie des Femmes savantes est un chef-d’œuvre, mais un chef d’œuvre immoral et qui ne ressemble à rien. L’homme de lettres dans la société n’est plus un bouffon nourri par les grands seigneurs, c’est un homme qui s’amuse à penser au lieu de travailler, et qui est conséquemment peu riche ; ou bien c’est un homme de la police payé par la trésorerie pour faire des pamphlets. Est-ce là Trissotin ou Vadius ?


VI. — De la moralité de Regnard.

Il y a cinquante ans, sous le règne décent de madame Dubarry ou de madame de Pompadour, nommer une immoralité, c’était être immoral.

Beaumarchais a présenté une mère coupable dans toutes les horreurs du remords ; s’il est un spectacle au monde propre à faire frémir, c’est celui de la pauvre comtesse Almaviva aux genoux de son mari. Et ce spectacle est vu tous les jours