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RACINE ET SHAKSPEARE

bien, nous désirons achever doucement notre vie auprès de celles qui firent le charme de ses premiers moments, et dort l’imagination toujours vive et brillante nous rappelle encore la plus belle moitié de l’amour.

Telle est la manière de passer les dernières journées de l’automne, en ces pays fortunés où le despotisme du ridicule, plus qu’on ne pense le soutien et l’ami d’un autre despotisme, est resté inconnu ; dans ces contrées où l’aimable monarchie à la Philippe II, non déguisée par les menteries des gens de cour jouant le bonheur, n’a pu tromper les peuples et est restée, avec sa face hideuse et son regard affreux, exposée à tous les yeux. L’instruction publique n’étant qu’une moquerie, toutes les idées s’acquièrent par la conversation, et les femmes ont autant de génie, pour le moins, que les hommes. Comme il n’y a point eu de cour toute-puissante sur l’opinion, tenue par un despote jaloux de toutes les supériorités, il est resté permis à tout le monde de chercher le bonheur à sa manière.

Une femme, supérieure par son esprit, à Rome ou à Venise, est admirée, redoutée, adorée ; mais personne ne songe à la perdre par le ridicule. L’entreprise serait absurde, et l’on ne comprendrait pas même, en ces pays haureux, la phrase dont je me sers. Comme son salon est, en dernière analyse, celui où on s’amuse le plus, la société s’accoutume à quelques erreurs un peu vives si elle a à se les reprocher,