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RACINE ET SHAKSPEARE

méprise trop pour le regarder deux fois.

Ce qui fit le bonheur de la littérature sous Louis XIV, c’est qu’alors c’était une chose de peu d’importance[1]. Les courtisans qui jugèrent les chefs-d’œuvre de Racine et de Molière furent de bon goût, parce qu’ils n’eurent pas l’idée qu’ils étaient des juges. Si, dans leurs manières et leurs habits ils furent toujours attentifs à imiter quelqu’un, dans leur façon de penser sur la littérature ils osèrent franchement être eux-mêmes. Que dis-je, oser ? Ils n’eurent pas même la peine d’oser. La littérature n’était qu’une bagatelle sans conséquence ; il ne devint essentiel, pour la considération, de bien penser sur les ouvrages de l’esprit[2] que vers la fin de Louis XIV, lorsque les lettres eurent hérité de la haute considération que ce roi avait accordée aux Racine et aux Despréaux.

On juge toujours bien des choses qu’on juge avec naturel. Tout le monde a raison dans son goût, quelque baroque qu’il soit, car on est appelé à voter par tête. L’erreur arrive au moment où l’on dit : « Mon goût est celui de la majorité, est le goût général, est le bon goût. »

Même un pédant, jugeant naturellement, d’après son âme étroite et basse, aurait droit

  1. « Le bonhomme Corneille est mort ces jours-ci », dit Dangeau. Aujourd’hui il y aurait quatre discours prononcés au Père-Lachaise, et le lendemain insérés au Moniteur.
  2. Titre de l’ouvrage d’un jésuite (Bouhours, je crois,) du temps, qui eut beaucoup de succès.