Page:Stendhal - Racine et Shakespeare.djvu/340

Cette page a été validée par deux contributeurs.
303
DE QUELQUES OBJECTIONS

précédente ; mais ils trouvent à la porte un monstre terrible : le bégueulisme, puisqu’il faut l’appeler par son nom.

Dans la vie commune, le bégueulisme est l’art de s’offenser pour le compte des vertus qu’on n’a pas ; en littérature, c’est l’art de jouir avec des goûts qu’on ne sent point. Cette existence factice nous fait porter aux nues les Femmes savantes et mépriser le charmant Retour imprévu.

À ces mots malsonnants, je vois la colère dans les yeux des classiques. Eh ! messieurs, ne soyez en colère que pour ce qui vous y met réellement. La colère est-elle donc un sentiment si agréable ? — Non, certes ; mais, en fronçant le sourcil aux farces de Regnard, nous avancerons notre réputation de bons littérateurs.

Le bon ton court donc les rues ; car il n’est pas de calicot qui ne siffle Molière ou Regnard, à tout le moins une fois l’an. Cela lui est aussi naturel que de prendre, en entrant au café, l’air militaire d’un tambour-major en colère. On dit que la pruderie est la vertu des femmes qui n’en ont pas ; le bégueulisme littéraire ne serait-il point le bon goût de ces gens que la nature avait fait tout simplement pour être sensibles à l’argent, ou pour aimer avec passion les dindes truffées ?

Une des plus déplorables conséquences de la corruption du siècle, c’est que la comédie de société ne trompe plus personne en littérature, et si un littérateur affecté réussit encore à faire illusion, c’est qu’on le