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RACINE ET SHAKSPEARE

de dignité les choque dans les ouvrages de l’esprit ; que la moindre convenance blessée les dégoûte. Le fait est que, s’ennuyant beaucoup, que, manquant absolument d’idées nouvelles et amusantes, ils dévorent les plus mauvais romans. Les libraires le savent bien, et tout ce qu’il y a de trop plat, pendant le reste de l’année, est par eux réservé pour le mois d’avril, le grand moment des départs et des pacotilles de campagne.

Ainsi l’ennui a déjà brisé toutes les règles pour le roman ; l’ennui ! ce dieu que j’implore, le dieu puissant qui règne dans la salle des Français, le seul pouvoir au monde qui puisse faire jeter les Laharpe au feu. Du reste, la révolution dans le roman a été facile. Nos pédants, trouvant que les Grecs et les Romains n’avaient pas fait de romans, ont déclaré ce genre au-dessous de leur colère ; c’est pour cela qu’il a été sublime. Quels tragiques, suivants d’Aristote, ont produit, depuis un siècle, quelque œuvre à comparer à Tom Jones, à Werther, aux Tableaux de famille, à la Nouvelle Héloïse ou aux Puritains ? Comparez cela aux tragédies françaises contemporaines ; vous en trouverez la triste liste dans Grimm.

De retour à la ville à la fin de novembre, nos gens riches, assommés de six mois de bonheur domestique, ne demanderaient pas mieux que d’avoir du plaisir au théâtre. La seule vue du portique des Français les réjouit, car ils ont oublié l’ennui de l’année