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RACINE ET SHAKSPEARE

M. le duc de Fronsac, se trouve son égal, pour les manières[1].

De ce moment, Turcaret fut sans modèles ; mais cette nouvelle société de 1720 à 1790, ce changement total si important pour l’histoire et la politique, l’est fort peu pour la comédie ; pendant tout ce temps, elle n’eut point d’homme de génie. Les esprits, étonnés de pouvoir raisonner, se jetaient avec fureur dans ce plaisir tout nouveau. Raisonner sur l’existence de Dieu parut charmant, même aux dames. Les parlements et les archevêques, par leurs condamnations, vinrent jeter quelque piquant sur cette manière aride d’employer son esprit ; tout le monde lut avec fureur Émile, l’Encyclopédie, le Contrat social.

Un homme de génie parut tout à fait à la fin de cette époque. L’Académie, par l’organe de M. Suard, maudit Beaumarchais. Mais déjà il ne s’agissait plus de s’amuser dans le salon ; on songeait à reconstruire la maison, et l’architecte Mirabeau l’emporta sur le décorateur Beaumarchais. Quand un

  1. Lever de madame d’Épinay :

    « Les deux laquais ouvrent les deux battants pour me laisser sortir et crient dans l’antichambre : Voilà madame, messieurs, voilà madame. Tout le monde se range en haie. D’abord, c’est un polisson qui vient brailler un air, et à qui on accorde sa protection pour le faire entrer à l’Opéra, après lui avoir donné quelques leçons de bon goût, et lui avoir appris ce que c’est que la propreté du chant français. Puis, ce sont des marchands d’étoffes, des marchands d’instruments, des bijoutiers, des colporteurs, des laquais, des décrotteurs, des créanciers, etc. »

    (Mémoires et correspondance de madame d’Épinay, t. I, p. 356–357.)