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RACINE ET SHAKSPEARE

mille livres de rente et moins de cent. Quelquefois la dignité[1] des courtisans de Louis XIV se trouva choquée même de l’imitation gaie de ce qu’il y avait de plus ridiculement odieux à leurs yeux : un marchand de Paris. Le Bourgeois gentilhomme leur parut affreux, non pas à cause du rôle de Dorante, qui aujourd’hui ferait frémir MM. Auger, Lémontey et autres censeurs, mais tout simplement parce qu’il était dégradant et dégoûtant d’avoir les yeux fixés si longuement sur un être aussi abject que M. Jourdain, sur un marchand. Toutefois Louis XIV fut de meilleur goût ; ce grand roi voulut relever ses sujets industriels, et d’un mot il les rendit dignes qu’on se moquât d’eux. « Molière, » dit-il à son valet de chambre-tapissier, tout triste des mépris de la cour, « Molière, vous n’avez encore rien fait qui m’ait tant diverti, et votre pièce est excellente. »

L’avouerai-je ? je suis peu sensible à ce bienfait du grand roi.

Lorsque, vers 1720, les dissipations des grands seigneurs et le système de Law eurent enfin créé une bourgeoisie, il parut une troisième source de comique : l’imitation imparfaite et gauche des aimables courtisans. Le fils de M. Turcaret[2], déguisé

  1. Pour prendre une idée exacte de cette dignité, voir les mémoires de madame la duchesse d’Orléans, mère du régent. Cette sincère Allemande dérange un peu les mille mensonges de madame de Genlis, de M. de Lacretelle, et autres personnages du même poids.
  2. Ce soir, mon fiacre a été arrêté un quart d’heure sur