Page:Stendhal - Racine et Shakespeare.djvu/317

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
280
RACINE ET SHAKSPEARE

n’écouterait pas un instant à la Scala la musique qui ravissait nos pères en 1719.

Il me semble que la musique nous fait plaisir en mettant notre imagination dans la nécessité de concevoir certaines illusions. Lorsque nous entendons de la musique que nous connaissons déjà, notre esprit, au lieu de s’abandonner à de délicieuses illusions au profit de la passion qui nous subjuguer dans le moment, se met à comparer le plaisir d’aujourd’hui avec le plaisir d’hier ; et, dès lors, le plaisir d’aujourd’hui est détruit ; car la sensibilité ne peut faire qu’une chose à la fois.

Cimarosa, Piccini, Sacchini, Galuppi, ont fait chacun trente opéras ; de ces cent vingt opéras, cinquante a peine ont été joués à Milan ; et quand ont-ils été joués ? Vers 1780, quand nos pères étaient encore à l’Université. Donc, nous n’en avons pas la moindre idée et cependant nous ne pouvons pas les souffrir.

Pourquoi ? c’est qu’au lieu de jouir nous comparons ; or, la comparaison est ce qui tue la musique. Quand l’on nous donne Le Barbier de Séville de Paisiello ou la Secchia rapita de Zingarelli, nous comparons le style de cette ancienne musique au style moderne des Rossini, des Mozart, des Mayer.

Qu’arrive-t-il de là ? C’est que nous applaudissons avec fureur le Barbier de Séville de Rossini, qui ne présente autre chose que les idées de Cimarosa habillées à la moderne.