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RACINE ET SHAKSPEARE

avait donné à Florence une foule d’écrivains qui nous manque.

Au quatorzième siècle, la scène change. Florence fait des progrès décisifs et Milan reste barbare. Florence a cet immense avantage qu’elle se trouve parler à peu près la même langue que la toute-puissante Rome. Cette langue produit l’Arioste, le Tasse et Machiavel. La victoire est à jamais décidée en faveur de Florence et contre toutes les autres villes de l’Italie.

Le milanais, le vénitien, le génois, le piémontais, le bolonais, le napolitain perdent l’espoir de parvenir à la couronne et sont à jamais réduits à la qualité de dialectes inférieurs et méprisés par le superbe Toscan. Il fallait que cet événement arrivât, et je ne suis nullement chagrin que le sort ait favorisé Florence au lieu de Milan.

Le grand malheur de l’Italie, le malheur à jamais déplorable, c’est que le vainqueur n’ait pas exterminé ses rivaux.

C’est qu’un intérêt quelconque n’ait pas fait qu’un homme bien élevé eût honte de parler milanais à Milan et vénitien à Venise, et apprît à parler le toscan.

Tout le monde sait que la langue française s’est trouvée dans le même cas et à peu près à la même époque. Il y avait la langue d’oc et la langue d’oïl. Mais le roi de France écrasa peu à peu tous ses grands vassaux, et il est résulté de cette circonstance politique que l’on parle absolument et entièrement la même langue à Arras qu’à Toulouse et à Bayonne qu’à Rennes. Remarquez