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RACINE ET SHAKSPEARE

un libre essor et développe toute son énergie. Le courage et le talent naissent de toutes parts, car l’un et l’autre se trouvent nécessaires à l’existence.

« Mieux vaut un sauvage à grandes qualités qui commet des crimes, qu’un esclave incapable de toute vertu. »

Nous pensons que c’est acheter un peu cher les beaux-arts, que de ne les obtenir qu’en même temps que des crimes. Ce qu’il y a de certain, c’est que l’Italie, en se civilisant vers l’an 1530, ou du moins en perdant les crimes qui nous font frémir dans l’histoire du moyen âge, perdit le feu qui créait les grands hommes. L’Italie aurait gagné pour sa gloire en étant engloutie dans la mer le 22 octobre 1530, jour où la liberté expira à Florence.

L’imagination peut s’amuser à suivre un instant le roman de la gloire. Où ne fût pas montée l’Italie, si l’invention de l’imprimerie eût précédé de deux cents ans le siècle de Pétrarque et la découverte des manuscrits ? Alors l’Italie, dans toute la sève de la jeunesse, n’eût pas été empoisonnée par les pédants grecs, chassés de Constantinople ; nous serions riches de mille chefs-d’œuvre moulés sur notre caractère, bien véritablement faits pour nous, et non pas pour les Grecs ou pour les Français, et au lieu de recevoir des modèles de l’Anglelerre, c’est nous qui aurions porté dans le Nord le culte de la vérité poétique du romanticisme.

(Cette idée me paraît belle. Il me semble