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QU’EST-CE QUE LE ROMANTICISME ?

quels gestes peuvent espérer d’ajouter de la dignité ou de la force aux reproches sanglants que le noble Timoléon adresse au tyran Timophane ?

Un drame lu affecte l’âme de la même manière qu’un drame joué. Par là, il est évident (autant, que les choses morales peuvent être évidentes) que le spectateur ne croit pas que l’action soit réelle. Il suit de là que l’on peut supposer qu’un plus ou moins long espace de temps s’écoule entre les actes ; il suit encore de là que le spectateur d’un drame, quand il n’a pas été élevé dans un collegio antiquato, ne s’inquiète guère plus du lieu ou de la durée de l’action que le lecteur d’une narration, lequel, en deux heures de temps, lit fort bien toute une vie de Plutarque[1]. Quoi ! vous vous êtes accoutumé à entendre parler en vers César et Marie Stuart ; vous voyez, sans en être choqué, une actrice dans les coulisses faire des mines aux loges, et un homme libre de préjugés ne pourrait s’accoutumer à voir Othello au premier acte à Venise et au second acte dans l’île de Chypre ? Si, pour un instant, cette illusion dont vous parlez sans la connaître existait au théâtre, la tragédie la moins ensanglantée deviendrait horrible, et tout le plaisir que donne l’art ou la perfection de l’imitation disparaîtrait.

Vous reste-t-il encore quelques doutes

  1. Miss Doris Gunnell a fait remarquer que tout ce chapitre, depuis la p. 176 jusqu’ici, est traduit de la préface de Johnson aux Œuvres de Shakspeare. N. D. L. É.