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RACINE ET SHAKSPEARE

dire, l’illusion, sans cesse détruite, renaît sans cesse. Si nous arrivions à croire un moment les meurtres et les trahisons réels, ils cesseraient à l’instant de nous causer du plaisir.

Les imitations des arts produisent de la peine ou du plaisir, non pas parce qu’on les prend pour des réalités, comme disent les auteurs surannés, mais parce qu’elles présentent vivement à l’âme des réalités. Quand notre imagination est égayée (rallegrata) et rafraîchie par un beau paysage de Claude Lorrain, ce n’est pas que nous supposions les arbres que nous voyons capables de nous donner de l’ombre, ou que nous songions à puiser de l’eau à ces fontaines si limpides ; mais nous nous figurons vivement le plaisir que nous aurions à nous promener auprès de ces fraîches fontaines et à l’ombre de ces beaux arbres, balançant leurs rameaux au-dessus de nos têtes. Nous sommes agités en lisant l’histoire de Charles VIII ; cependant aucun de nous ne prend son livre pour le champ de bataille de Fornova.

Un ouvrage dramatique est un livre récité avec des accompagnements qui accroissent ou diminuent son effet. L’aimable comédie en fait davantage au théâtre que lue dans la solitude. Il en est tout autrement de la noble tragédie. Le malheur comique de l’Ajo nell’imbarazzo, quand il est surpris par son sévère patron, tenant l’enfant dans ses bras, peut être augmenté par les lazzi de l’excellent Vestri ; mais quelle voix ou