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RACINE ET SHAKSPEARE

que cette salle représente d’abord la place de Saint-Marc à Venise et ensuite l’île de Chypre, si cette salle a toujours été connue pour n’être ni la place de Saint-Marc, ni l’île de Chypre ; mais bien le théâtre de la Cannobiana ?

Quant au temps, il s’écoule dans les entr’actes, et pour la partie de l’action qui est effectivement mise sous les yeux du spectateur, la durée poétique et la durée réelle sont absolument les mêmes.

Le contraire serait absurde. Si dans le premier acte on voit faire à Rome des préparatifs pour la guerre contre Mithridate, au cinquième acte la conclusion de la guerre peut être représentée, sans absurdité, comme arrivant dans le Pont. Nous savons fort bien qu’il n’y a ni guerre, ni préparatifs de guerre, nous savons fort bien que nous ne sommes ni à Rome ni dans le royaume de Pont, que nous n’avons devant nous ni Mithridate ni Lucullus.

La tragédie nous offre des imitations d’actions successives. Pourquoi la seconde imitation ne peut-elle pas représenter une action de beaucoup postérieure à la première, si cette seconde action est liée de telle manière avec l’autre, qu’elle n’en soit séparée par aucune autre chose que par l’intervalle du temps ? le temps qui, de toutes les choses de ce monde, est celle qui se prête le plus à l’imagination ; un intervalle de plusieurs années passe aussi vite, pour l’imagination, qu’une suite de quelques heures.