rable libretto de Don Juan, mis en musique par Mozart, fut écrit à Vienne, par l’abbé Casti ; certes l’oligarchie viennoise n’a jamais passé pour tolérer la licence au théâtre. Eh bien ! à Vienne, en 1787, don Juan, dona Anna et dona Elvïre chantaient pendant cinq minutes dans la scène du bal : Viva la libertà ! À Louvois, en 1825, au moment où nous sommes forcés de souffrir les discours du général Foy et de M. de Chateaubriand il a bien fallu ordonner à don Juan de chanter Viva l’ilarità ! L’hilarité n’est-elle pas ce qui nous manque ?
« En 1787, personne ne songeait à applaudir la liberté ; aujourd’hui il serait à craindre que ce mot ne devînt un drapeau. La guerre est déclarée. Les privilégiés sont en fort petit nombre, riches et enviés, la plaisanterie serait une arme terrible contre eux ; n’est-ce pas le seul ennemi qui ait fait peur à Buonaparte ? Donc il faut des censeurs si vous ne voulez pas fermer les théâtres. »
La comédie peut-elle survivre à cet état de choses ? Le roman, qui esquive la censure, ne va-t-il pas hériter de la pauvre défunte ? Les courtisans, dans la juste terreur que leur inspire le rire, permettront-ils, qu’on se moque de la classe des avocats, de la classe des médecins, de la classe des compositeurs de musique qui maudissent Rossini, de la classe des vsndeurs de croix, et des opticiens qui en achètent ; ou qu’on traite ce sujet si plaisant : L’Homme de lettres ou les vingt places, ou celui-ci : Le Coureur d’héritages ? Toutes les classes de gens ridicules n’ont-elles pas des protecteurs naturels qui se coalisent pour le maintien de ce qu’on appelle la décence publique ?
Le premier besoin pour la police n’est-il pas le maintien de la tranquillité ? et que lui importe un chef-d’œuvre de moins ? La première violation de l’unité de lieu dans Christophe Colomb fit tuer un homme au parterre.
D’un autre côté, si jamais nous avons la liberté complète, qui songera à faire des chefs-d’œuvre ? Chacun travaillera, personne ne lira si ce n’est de grands journaux in folio, où toute vérité s’énoncera dans les termes les plus directs et les plus nets. Alors la comédie française aura toute liberté ; mais en perdant Sainte-Pélagie et la salle Saint-Martin, nous aurons perdu quant et quant l’esprit qu’il faut pour faire et pour goûter la comédie, ce brillant mélange de vérité de mœurs, de gaieté légère et de satire piquante. Dans une monarchie, pour qu’un Molière soit possible, il faut l’amitié d’un Louis XIV. En attendant, ce hasard heureux, et vu les critiques amères dont les Chambres et la société poursuivent les hommes du pou-