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SECONDE PARTIE

mot propre, unique, nécessaire, indispensable pour faire voir telle émotion de l’âme, ou pour raconter tel incident de l’intrigue. Comment voulez-vous qu’Othello, par exemple, ne prononce pas le mot ignoble mouchoir, lorsqu’il tue la femme qu’il adore, uniquement parce qu’elle a laissé enlever par son rival Cassio le mouchoir fatal qu’il lui avait donné aux premiers temps de leurs amours ?

Si l’abbé d’Aubignac avait établi que les acteurs dans la comédie ne doivent marcher qu’à cloche-pied, la comédie des Fausses confidences de Marivaux, jouée par mademoiselle Mars, nous toucherait encore malgré cette idée bizarre. C’est que nous ne verrions pas l’idée bizarre[1]. Nos grands-pères étaient attendris par l’Oreste d’Andromaque, joué avec une grande perruque poudrée, et en bas rouges avec des souliers à rosette de rubans couleur de feu.

Toute absurdité dont l’imagination d’un peuple a pris l’habitude n’est plus une absurdité pour lui, et ne nuit presque en rien aux plaisirs du gros de ce peuple, jusqu’au moment fatal où quelque indiscret vient lui dire : « Ce que vous admirez est absurde. » À ce mot, beaucoup de gens sincères avec eux-mêmes, et qui

  1. Tout ridicule inaperçu n’existe pas dans les arts.