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RACINE ET SHAKSPEARE

la cour était peuplée d’Orontes, et les châteaux de province d’Alcestes fort mécontents. À le bien prendre, tous les grands écrivains ont été romantiques de leur temps. C’est, un siècle après leur mort, les gens qui les copient au lieu d’ouvrir les yeux et d’imiter la nature, qui sont classiques[1].

Êtes-vous curieux d’observer l’effet que produit à la scène cette circonstance de ressembler à la nature ajoutée à un chef-d’œuvre ? Voyez le vol que prend depuis quatre ans le succès du Tartuffe. Sous le Consulat et dans les premières années de l’Empire, le Tartuffe ne ressemblait à rien comme le Misanthrope, ce qui n’empêchait pas les Laharpe, les Lemercier, les Auger et autres grands critiques de s’écrier : Tableau de tous les temps comme de tous les lieux, etc., et les provinciaux d’applaudir.

  1. Virgile, le Tasse, Térence, sont peut-être les seuls grands poëtes classiques. Encore, sous une forme classique et copiée d’Homère, à chaque instant le Tasse met-il les sentiments tendres et chevaleresques de son siècle. À la renaissance des lettres, après la barbarie des neuvième et dixième siècles, Virgile était tellement supérieur au poëme de l’abbé Abbon sur le siége de Paris par les Normands, que, pour peu qu’on eût de sensibilité, il n’y avait pas moyen de n’être pas classique, et de ne pas préférer Turnus à Hérivée. À l’instar des choses qui nous semblent les plus odieuses maintenant : la féodalité, les moines, etc., le classicisme a eu son moment où il était utile et naturel. Mais aujourd’hui (15 février, jour de mardi-gras), n’est-il pas ridicule que pour me faire rire on n’ait pas d’autre farce que Pourceaugnac, composé il a y cent cinquante ans ?