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RACINE ET SHAKSPEARE

comme de la poésie épique, les choqueront et leur déplairont mortellement comme tragédie. Cette répugnance est absurde, mais ils n’en sont pas les maîtres ; mais ils la sentent, mais elle est évidente pour eux, aussi évidente que les larmes que nous font verser Roméo et Juliette le sont pour nous. Je conçois que, pour ces littérateurs estimables, le romantisme soit une insolence. Ils ont eu l’unanimité pendant quarante ans de leur vie, et vous les avertissez que bientôt ils vont se trouver seuls de leur avis.

Si la tragédie en prose était nécessaire aux besoins physiques des hommes, on pourrait entreprendre de leur démontrer son utilité ; mais comment prouver à quelqu’un qu’une chose qui lui donne un sentiment de répugnance invincible peut et doit lui faire plaisir ?

Je respecte infiniment ces sortes de Classiques, et je les plains d’être nés dans un siècle où les fils ressemblent si peu à leurs pères. Quel changement de 1785 à 1824 ! Depuis deux mille ans que nous savons l’histoire du monde, une révolution aussi brusque dans les habitudes, les idées, les croyances, n’est peut-être jamais arrivée. Un des amis de ma famille, auquel j’étais allé rendre mes devoirs dans sa terre, disait à son fils : « Que signifient vos