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SECONDE PARTIE

lirai pas, mais encore, par mon crédit, j’empêcherai bien qu’on ne la joue[1].

Eh bien ! ce classique des Débats, qui veut combattre une idée avec une baïonnette, n’est pas si ridicule qu’il le paraît. À l’insu de la plupart des hommes, l’habitude exerce un pouvoir despotique sur leur imagination. Je pourrais citer un grand prince, fort instruit d’ailleurs, et que l’on devrait croire parfaitement à l’abri des illusions de la sensibilité ; ce roi ne peut souffrir dans son conseil la présence d’un homme de mérite, si cet homme porte des cheveux sans poudre[2]. Une tête sans poudre lui rappelle les images sanglantes de la Révolution française, premiers objets qui frappèrent son imagination royale, il y a trente-un ans. Un homme à cheveux coupés, comme nous, pourrait soumettre à ce prince des projets conçus avec la profondeur de Richelieu ou la prudence de Kaunitz, que, pendant tout le temps de sa lecture, le prince n’aurait d’attention que pour la coiffure repoussante du ministre. Je vois un trésor de tolérance littéraire dans ce mot : l’habitude exerce un pouvoir despotique sur l’imagination des hommes

  1. Historique.
  2. Il s’agit de Ferdinand, roi des Deux-Siciles. Cf. Rome Naples et Florence, édition du Divan, tome II, p. 213. N. D. L. É.