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de la navigation, les ressources dans le péril, lui seront choses familières ; mais, comme homme, il sera fort inférieur au Romain. C’est précisément parce qu’il est mené par un gouvernement à peu près juste (à l’omnipotence près de l’aristocratie), que l’Anglais n’est pas obligé, dix fois par mois, de se décider dans de petits cas hasardeux qui peuvent fort bien par la suite le mener à sa ruine, ou même en prison et à la mort.

Le Français aura de la bonté et une bravoure brillante ; rien ne le rendra triste, rien ne l’abattra ; il ira au bout du monde et en reviendra, conune Figaro, faisant la barbe à tout le monde. Peut-être il vous amusera par le brillant et l’imprévu de son esprit (je parle toujours du Français de 1780) ; mais, comme homme, c’est un être moins énergique, moins remarquable, plus vite lassé par les obstacles que le Romain. Amusé toute la journée par quelque chose, le Français ne jouira pas du bonheur avec la même énergie que le Romain, qui, le soir, arrive chez sa maîtresse avec une âme vierge d’émotions ; donc il ne fera pas de si grands sacrifices pour l’obtenir. Que si vous dirigez autrement votre choix, et que, dans ces troupes de cent hommes appartenant aux trois peuples, vous choisissiez les plus dépourvus d’éducation et de culture, la supériorité de la race romaine sera plus frappante encore. C’est que l’éducation, loin de rien faire pour le Romain, agit en sens inverse ; c’est que le gouvernement et la civilisation agissent contre la vertu et le travail, et lui enseignent sans le vouloir le crime et la fraude. Par exemple, le gouvernement traite avec des assassins : que peut-il faire de pis ? Leur manquer de parole, et il n’y manque pas[1].

Les actions de peu d’importance qui remplissent la journée

  1. Voir le Voyage d’un privilégié, le lord Craven, dans les environs de Naples, et Six mois dans les environs de Rome, de madame Graham.