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15 août. — Mon hôte a placé des fleurs devant un petit buste de Napoléon qui est dans ma chambre. Mes amis gardent définitivement leurs logements sur la place d’Espagne, à côté de l’escalier qui monte à la Trinità de Monti.

Supposez deux voyageurs bien élevés, courant le monde ensemble ; chacun d’eux se fait un plaisir de sacrifier à l’autre ses petits projets de chaque jour ; et, à la fin du voyage, il se trouve qu’ils se sont constamment gênés.

Est-on plusieurs, veut-on voir une ville, on peut convenir d’une heure le matin, pour partir ensemble. On n’attend personne ; on suppose que les absents ont des raisons pour passer cette matinée seuls.

En route, il est entendu que celui qui met une épingle au collet de son habit devient invisible ; on ne lui parle plus. Enfin, chacun de nous pourra, sans manquer à la politesse, faire des courses seul en Italie, et même retourner en France ; c’est là notre charte écrite et signée, ce matin au Colysée, au troisième étage des portiques, sur le fauteuil de bois placé là par un Anglais. Au moyen de cette charte, nous espérons nous aimer autant au retour d’Italie qu’en y allant.

Un de mes compagnons a beaucoup de sagesse, de bonté, d’indulgence, de douce gaieté ; c’est le caractère allemand. Il a de plus une raison ferme et profonde qui ne se laisse éblouir par rien ; mais quelquefois il oubliera pendant un mois d’employer cette raison supérieure. Dans la vie de tous les jours, on dirait un enfant. Nous l’appelons Frédéric : il a quarante-six ans.

Paul n’en a pas trente. C’est un fort joli homme, et d’infiniment d’esprit, qui aime les saillies, les oppositions, le cliquelis rapide de la conversation. Je crois qu’à ses yeux le premier livre du monde, ce sont les Mémoires de Beaumarchais. Il est impossible d’être plus amusant et meilleur. Les plus