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mais il n’y a que ceux qui se trouvaient alors à Rome qui puissent apprécier la sensation universelle qu’elle y produisit. La veille au soir, elle avait paru, entourée du cercle brillant de ses amis et de ses admirateurs, dans un grand bal, donné chez elle, en l’honneur, à ce qu’on supposait, de son prochain mariage. Son futur était à Turin, et on l’attendait à Rome de jour en jour. À ceux qui observèrent la légèreté de ses pas ce soir-là, qui virent les rayons de la joie et de l’espérance illuminer ses traits charmants, elle semblait toucher aux bornes de la félicité humaine, et être invulnérable aux traits du sort. La Providence en ordonna autrement : les adieux de cette soirée devaient être éternels. La nuit était orageuse, et des pluies fréquentes depuis quelques jours avaient enflé le Tibre. Ses bords sont la promenade favorite des Anglais dans cette saison. Tous nos échappés d’Oxford aiment à comparer le fleuve avec la description qu’en a faite Horace, et tout le monde s’y rappelle Shakspeare[1]. Le lendemain, la pluie avait cessé et ce soleil d’Italie qui n’abandonne jamais ses enfants que pour quelques heures, invitait à sortir. L’ambassadeur

  1. L’admirable récit de Cassius, dans Jules César :
    For once, upon a raw and gusty day,
    The troubled Tyber chafing with his shores, etc.