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Les gens à la mode, ici comme en France, sont les officiers à demi-solde. Au reste, c’est à leur amabilité et à l’abondance de leurs idées que vous vous apercevez qu’ils ont servi ; ils n’ont rien de cette jactance militaire, de ce ton blagueur qui me choquait tant à Londres, dans certaines réunions de Saint-James’s street.

Un autre inconvénient de la société, ici, c’est qu’on meurt d’inedia (d’épuisement) ; on ne sait que dire, il n’y a jamais de nouvelles. La Minerve[1] est proscrite à Milan, comme au jardin des Tuileries, et le Journal du Commerce est prohibé. La soirée se passe, entre hommes, à maudire la bassesse, et l’hypocrisie et les mensonges des Débats. Ils se mettent dans une colère comique et affublent les rédacteurs des épithètes les plus avilissantes, et faute de savoir ce qui se passe, toutes les discussions politiques se finissent par des cris de rage. L’on se tait un moment et puis l’on se met à parler des ballets de Vigano ; la Vestale et Otello ont plus fait parler à Milan, même dans les basses classes, qu’à Paris, la dernière conspiration des Ultra.

Or, une discussion sur Otello n’est pas si

  1. Revue hebdomadaire publiée de février 1818 à mars 1820 ; elle eut une très grande vogue et fut tuée par l’établissement de la censure après l’assassinat du duc de Berry. (Note de Romain Colomb.)