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LE RIRE

Le conteur est encore plus bête, quand il dit grossièrement et explicitement : « Vous allez bien rire, » ou : « Je vais vous dire un conte qui, hier, dans telle maison, fit bien rire. » Les benêts de cette force sont rares ailleurs que dans la rue Saint-Denis ; mais, même dans la rue d’Anjou[1], on voit des gens qui laissent entrevoir l’estime qu’ils font de leur anecdote, en la contant hors de propos et sans qu’elle soit précisément amenée par la conversation. La rapidité du courant de la conversation est telle à Paris, qu’une anecdote qui est placée dans ce moment, ne le sera plus dans vingt secondes, et fera même une tache déplaisante. La reine Marie-Antoinette aimait surtout madame de Polignac parce que celle-ci n’avait nulle pédanterie et ne faisait jamais de ces taches dans la conversation.

Notre vanité fait une fort juste estime du degré d’esprit du conteur ; nous voyons bien vite si c’est par bêtise ou par excès d’estime pour son anecdote qu’il la conte hors de propos.

Il n’y a qu’une exception pour que le rire du conteur ne nuise pas à son anecdote, c’est quand on voit que ce rire est absolu-

  1. La rue Saint-Denis, rue du petit commerce est opposée ici à la rue d’Anjou qui désigne le salon de Mme  de Tracy que fréquentait assidûment Stendhal. N. D. L. É.