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SHAKSPEARE

La harangue de Brutus[1] est fort intelligible, fort à la portée du peuple ; mais elle est, ce nous semble, au-dessous du peuple de Rome, il n’y a pas assez de notions politiques pour un peuple accoutumé à suivre les actions de son gouvernement et à en faire partie. Il n’y a pas assez d’images sensibles et pressées les unes sur les autres pour prouver au peuple qu’il était esclave, qu’il ne devait pas l’être et que, par la mort de César, il va cesser de l’être.

Brutus oublie la grande raison : César a été mis à mort sans jugement, parce qu’il était mis au-dessus des lois, mais Cassius, Cimber, etc., etc., moi, son ami, nous l’avons jugé digne de mort. En voici les raisons[2] : « Vous rappelez-vous qu’à la dernière élection, vous vouliez élire Caïus, il vous fit dire qu’il voulait Publius. Vous n’étiez que ses automates, etc… »

Shakspeare devait peindre si, ou non, le peuple romain à cette époque était digne de la liberté. S’il en était indigne, Brutus et Cassius en supprimant César ne font qu’ôter une cause très active de tyran-

  1. 9 avril 1811.
  2. On sent bien que nous ne parlons et ne pouvons parler ici que sous le rapport littéraire. Ces Romains ont de bien plus grands reproches à supporter sous le rapport moral. Ce sont des assassins*.

    * (En marge de cette note, Stendhal plus tard a écrit : « Ceci était pour la police du temps » ). N. D. L. É.