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LE MARCHAND DE VENISE

choses de plus haut que l’homme gai français et les exprime par des figures annonçant de la sensibilité. Gratiano inspire la bienveillance.

Portia est aimable, dans le même sens que Gratiano. Les autres caractères sont vrais. Mais le plus remarquable de tous est Shylock.

Sa première passion a été : gagner de l’argent par le commerce, on lui en voit toutes les habitudes profondément imprimées. Vivant au milieu de chrétiens qui le méprisent en face, qui lui crachent au visage, qui entravent ses opérations, qui ont pour eux les lois ; voyant que, malgré toute son industrie et ses grandes richesses, il restera toujours l’inférieur de ces gens-là, son caractère a eu longtemps soif de la vengeance. Ce caractère est plein de fermeté et de ténacité. Il s’énonce comme tous les personnages de Shakspeare par des tournures extrêmement vives.

On voit ce caractère parfaitement : c’est un homme vindicatif revêtu des mœurs d’un marchand avare, il a toute l’ardeur possible. Nous n’y voyons rien à changer. C’est une hyène qui a rugi dix ans dans sa loge et qui trouve enfin moyen d’en sortir et de dévorer un chrétien.

La scène du prêt est parfaite. C’est ainsi, mais avec plus de formes, que nos