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courage d’envisager la triste situation de cette partie de la France qui s’étend de Montpellier à Poitiers, et de Bayonne à Clermont. Il faut une grande mesure, il faut se résoudre à l’humiliante nécessité de chercher un homme de mérite et de ne pas le destituer au bout d’un an. Il faudrait un travailleur sérieux, comme MM. Cretet, Daru, le maréchal Davoust, etc. Cet homme de mérite aurait la direction des départements les plus arriérés du midi de la France, et y passerait quatre mois chaque année.

Ce qui m’a frappé, ce qui montre bien que le Midi n’est pas doué du caractère âpre qu’il faut maintenant pour gagner et conserver de l’argent, c’est que je n’ai retrouvé à Bordeaux aucune de ces grandes maisons de commerce que j’entrevis avec respect, il y a treize ans, en allant m’embarquer pour les colonies. Le luxe, l’esprit méridional et confiant, le manque de prudence, ont tout dévoré. Tous les grands noms de commerce de Bordeaux sont changés. Sans les troubles d’Espagne et d’Amérique, qui ont envoyé ici cinquante familles millionnaires, sans le bonheur unique de la démolition du château Trompelle, Bordeaux, au moral et au physique, serait dans l’état de Rennes, et pourtant Bordeaux est de bien loin aujourd’hui la plus belle ville de France.