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— Nivernais, le 19 avril.

Ouvrez l’Almanach royal de 1829, vous verrez la noblesse occuper toutes les places ; maintenant elle vit à la campagne, ne mange que les deux tiers de son revenu et améliore ses terres. Ce serait une vie heureuse si elle ne songeait qu’à ses terres. Outre les fermes, chaque propriétaire a une réserve de cent cinquante arpents qu’il fait valoir ; beaucoup achètent tout ce qui est à vendre autour d’eux, et dans dix ans ces messieurs auront refait des terres magnifiques.

C’est un bonheur que de les rencontrer : on trouve chez eux un ton d’exquise politesse que l’on chercherait vainement ailleurs, et surtout chez les nouveaux riches. Mais, si la forme de leur conversation est agréable et légère, elle finit par attrister, car au fond il y a un peu d’humeur.

Par la position qu’ils se sont faite depuis 1830, les hommes les plus aimables de France voient passer la vie, mais ils ne vivent pas. Les jeunes gens ne donnent pas un coup de sabre à Constantine, les hommes de cinquante ans n’administrent pas une préfecture, et la France y perd, car beaucoup connaissaient fort bien les lois et règlements, et tous avaient des salons