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un laquais, devenu rat de cave, assiste à une tragédie jouée dans une grange ; il est assez content d’abord, puis il trouve que l’acteur qui fait le roi n’a pas l’air assez noble.

Depuis mon départ de Paris, il ne se passe pas de jour que, sous l’habit de quelque provincial opulent, je ne rencontre le laquais devenu rat de cave. Pour ces gens-ci rien n’a l’air assez noble ; leur idéal apparemment, c’est l’acteur des boulevards jouant le roi, ou, mieux encore, un beau tambour-major marchant en cadence à la tête de son régiment.

Ce seul petit mot, s’il est vrai, les rend inhabiles à juger de tous les beaux-arts.

Aussi les respectables citoyens d’Avranches admirent-ils leur général Valhubert, comme Montpellier son gros Louis XVI et Versailles son général Hoche.

J’y renonce ; quelque style que j’emploie, quelque tournure frappante que je puisse inventer, je ne pourrai jamais donner une idée de la misère des conversations de la province, et des petitesses sans nombre qui font la vie du provincial le plus galant homme. On se refuse à croire que des êtres raisonnables puissent s’occuper avec intérêt de telles choses ; mais un jour on aperçoit toute la profondeur de l’ennui de la province, et à l’instant