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arbres rabougris et taillés jusqu’au vif pour avoir des fagots ; paysans pauvrement vêtus de toile bleue ; et il fait froid ! Voilà pourtant ce que nous appelons la belle France ! Je suis réduit à me dire : « Elle est belle au moral, elle a étonné le monde par ses victoires ; c’est le pays de l’univers où les hommes se rendent le moins malheureux par leur action mutuelle les uns sur les autres » : mais, il faut l’avouer, au risque de choquer le lecteur, la nature n’a pas mis une source de bonheur bien vive dans ces âmes du nord de la France.

Le sage gouvernement d’un roi homme supérieur n’autorise pas les insolences des riches envers les pauvres comme en Angleterre, ou les insolences et prétentions des prêtres, comme du temps de Charles X. Ainsi, me disais-je, en voyant Essones devant moi, voici peut-être le bourg du monde où le gouvernement fait le moins de mal aux gouvernés, et leur assure le mieux la sûreté sur la grande route, et la justice quand ils prennent envie de se chamailler entre eux. De plus, il les amuse par la garde nationale et les bonnets à poil.

Le ton des demi-manants demi-bourgeois, dont je surprends la conversation le long du chemin, est raisonnable et froid ;