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beaucoup de considération pour moi ; ils me croient un bon homme, seulement un peu bête. Si j’avais des idées, si je parlais, je serais à leurs yeux un horrible jacobin, un ennemi du juste-milieu, etc.

Cette idée, encore bien peu arrêtée, d’aller finir mes jours à la Martinique, ou du moins y passer les huit ou dix années qui me séparent encore de la vieillesse, me porte à comparer.

Je me disais, il y a huit jours : Je quitterai la France, peut-être pour toujours, et je ne la connais pas.

Je m’aperçois que j’ai oublié de dire que, deux ans après mon mariage, une banqueroute que nous éprouvâmes à Livourne, et dont le dividende fut soldé par des valeurs sur Vienne, en Autriche, me donna l’occasion de voir l’Italie, l’Autriche et la Suisse, sans que ma femme elle-même pût me taxer de vaine curiosité.

En Italie, j’achetai quelques tableaux. Le goût des arts, qui ne fut d’abord qu’une consolation, mais à la vérité la seule que je pusse supporter, s’empara bientôt d’une âme qui, depuis longtemps, ne connaissait d’autres émotions que celles de la douleur la plus profonde. J’eus cette idée que, si je me livrais sans réserve au chagrin, une certaine personne ne trouverait plus en moi qu’un vieillard morose,