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ATHANASE AUGER

qu’il fait ? — Pas du tout, monseigneur, lui répondit-elle, il ne tombait pas de neige lorsque je suis partie, et mon oncle et moi ne pouvions pas prévoir que je n’aurais pas le temps d’arriver jusqu’à vous ! — Allons, ma petite nièce (c’est le nom qu’il lui donnait souvent), ôtons ces légers souliers qui sont déjà tout traversés, que je vous asseye dans mon grand fauteuil à la Voltaire, et que ma petite amie se sèche et se réchauffe bien. Avez-vous déjeuné ? — Monseigneur, j’ai pris ce matin, à neuf heures, ma tasse de lait habituelle, avec deux grandes tartines de beurre, et je n’ai pas encore faim. — C’est égal, vous aimez bien mes confitures de Bar, mes bonbons candis, je vais vous en faire servir. — Mais, monseigneur, vous êtes trop bon, je n’ai besoin de rien ; il n’est encore que midi, et j’ai déjeuné à neuf heures.

— Eh bien ! ma jolie brune, vous croyez, quand trois heures de temps [se sont] écoulées, après avoir fait une longue course laborieuse, et vous être fait mouiller pour mon service, que vous ne mangerez pas avec plaisir ; ah ! petite friande, je vois dans vos beaux yeux noirs si malins que vous voudriez déjà voir mes friandises sur mon bureau. » Il sonna alors, et donna l’ordre au domestique qui parut de servir une collation sucrée à sa petite nièce si chérie. Ma mère, qui me racontait ce trait, ajouta que dans cette saison on servit par ordre la plus jolie assiettée de belles fraises qu’on pût voir dans toute la primeur de la saison,